jeudi, janvier 12, 2006

Souvenirs à tue-tête

Que de beaux hommages, et que de souvenirs !

Mais permettez-moi d'ajouter à cette page ce sans quoi le portrait ne serait pas complet, et de le faire avec ma mémoire espiègle d'enfant.

L'école nouvelle Émilie-Brandt, c'est mon enfance. Avant, rien, aucun souvenir. Puis, vers trois ou quatre ans, l'escalier en marbre «chair-de-saucisson » et le long couloir qui desservait les classes, le décor de mes six années suivantes.

Je vois ici des photos de l'école, je lis des adresses, mais aucune ne me ramène à l'école Émilie-Brandt que j'ai connue, rue Antonin-Raynaud, dans cette bâtisse sonore plantée entre deux cours de récré qui ressemblaient à des jardins.

Je revois la cour entourée de barrières mobiles mais qu'on ne déplaçait jamais, ses marronniers, les trous qu'on creusait en cachette dans la mauvaise asphalte pour jouer « au pot », les deux niveaux - il fallait monter trois marches pour accéder à la cour des grands - la balançoire où on fabriquait du pétrole (je vous donnerai la recette), la « cage à singes », et surtout l’aventureuse proximité avec la cour d'à côté, juste au-delà de la barrière. De ce côté-là évoluaient ceux qu'on appelait candidement « les anormaux », et nos rapports parfois conflictuels avec eux touchaient parfois aux sommets du surréalisme. À l'école nouvelle Émilie-Brandt, l'apprentissage de la différence faisait partie du programme tous les jours.

Mademoiselle Roustin était là, mais pour nous, asticots turbulents, ce n'était pas la pédagogue avant-gardiste, ni la gentille Lili. Pour nous, c'était Mademoiselle Roustin, la « dirlo » , notre dame de fer, respectée et crainte. Il faut dire que c’était à une époque où les enfants - l’enfant que j’étais – avaient pour les adultes un respect craintif. Ce qui me revient d'elle, plus que ses éclats de tendresse que nous avions du mal à comprendre entre deux tours pendables, c'est sa sévérité. Sa voix puissante, ses sourcils qui se fronçaient, ses gestes rapides et tranchants. Les plus cultivés d'entre nous, les petits malins, la surnommaient Peter Roustinoff.

Nos journées se passaient en découvertes et en gloussements, les pieds dans les chaussons et les mains dans les poches des blouses pleines de craie avec le nom brodé sur le cœur. Et lorsqu'on se laissait un peu aller et que le niveau sonore devenait intolérable, la solution radicale, c'était l'entrée brusque de Mademoiselle Roustin dans la classe. Le silence tombait comme une claque. La fin du monde pendant quelques secondes.

La tendresse bienveillante que nous aurions dû voir était pour nous une autorité absolue, tant nos petits cerveaux donnaient à son personnage les habits de l'implaccable supériorité. On la craignait, un point c'est tout, et quand on interprétait enfin son sourire comme de la gentillesse, c'était comme un grand «ouf » en nous. Elle le répétait pourtant : nous étions tous les enfants qu'elle n'avait pas eus. Mais des parents, on en avait déjà.

Mademoiselle Roustin n'était pas juste une gestionnaire derrière un bureau, elle était de toutes les sorties. Les sorties hebdomadaires à travers le Parc de la Planchette qu'on adorait, à la piscine ou au Palais des Sports de Levallois. Elle était là, bien sûr, aux traditionnelles classes de neige à Forgeassou, un petit coin de Savoie dont la population semblait décupler quand on arrivait en autocar ! Mademoiselle Roustin avait toujours dans sa manche une idée d'animation. Au pire, une chanson collective. Je me souviendrai toujours de la dernière journée de classe de neige, quand on se répartissait en petits groupes pour mettre au point les sketches qu'on jouerait le soir en robe de chambre ! J'ai joué un crocodile en pyjama !
Gros succès.

La dame avait aussi ses caprices, et des idées bien arrêtées sur certaines choses. Ah, la sempiternelle liste de fourniture scolaires, avec ce foutu Bic M4 qui était chaque année sur nos listes et qui ne se vendait nulle part !

Mademoiselle Roustin était aussi la directrice des dames de l'école. La digne Madame De Varine, qui conduisait la DS (Deuxième Septième), la gentille Madame Vanberghem dont j'ai revu la photo sur ce site et qui n'a pas changé, Madame Dutrex, impressionnante chef des cuisines, qui sentait la vaisselle, et les quelques enseignantes dont je me souviens : Mademoiselle Janin, avec sa façon particulière de diriger la musique, la belle Mademoiselle Gillet, qui m'a brisé le cœur en se mariant avec un autre...

Un jour, en 1975 ou 1976, on nous apprit que Mademoiselle Roustin avait eu un accident. Puis on l'a vue revenir avec le plus curieux des appareillages : un plâtre lui prenait tout le thorax jusqu'au cou, et son bras droit était tenu en angle droit vers le haut ! Mademoiselle Roustin était figée dans la position de l'élève qui lève le doigt pour aller faire pipi ! Eh bien c'est dans des cas comme ça que sa formation lui servait : elle nous a tous rassemblés et nous a raconté son accident, ses fractures, sa convalescence, tout. Après ça, impossible de se moquer d'elle, elle devenait comme un membre de la famille, ses problèmes étaient presque devenus les nôtres.
Maudite pédagogie !

Je croyais que Mademoiselle Roustin était une vieille dame, mais je constate qu'elle n'était pas beaucoup plus âgée que mes parents. Je l'ai connue dans sa jeune cinquantaine, mais sa silhouette trapue et sa voix de stentor en faisait déjà une figure intemporelle.

Je viens d'apprendre que Mademoiselle Roustin a définitivement rejoint le monde des rêves d'enfants. J'aurai quarante ans cette année, et le petit rigolo de l'école nouvelle Émilie-Brandt vit toujours en moi.

Olivier Bruel

jeudi, novembre 10, 2005

L'émouvant discours de Pauline

« Un enfant qui a l’air de ne rien faire mais qui ne s’ennuie pas, fait quelque chose »

C’est ainsi que Melle Roustin répond à la journaliste de la revue pour enfants Toboggan en 1987 quand elle lui demande : « et que faites-vous avec les enfants qui ne veulent rien faire ? ».

Et à la question « vous formez des génies ? », question intelligente s’il en faut une, elle répond en riant : « Que non. Sauf à considérer – ce que je crois – que tout enfant est génial. Mais des enfants épanouis, adaptés à la vie scolaire et sociale, concernés par le monde dans lequel ils vivent. Pourquoi exiger la perfection des enfants alors que nous adultes, sommes si indulgents envers nous même ? »

Mademoiselle Roustin avait une passion pour l’enfant et ses possibilités de développement. Les parents s’en souviennent douloureusement, eux qui ne comptaient presque pas.

Pour nous, anciens enfants et adultes toujours en devenir, ce fut une grande chance d’avoir pu nous développer dans une écoute aussi attentive, dans un environnement sans compétition où l’on a tenu compte de notre structure personnelle et des étapes de notre développement, aussi chaotique qu’il ait pu être et dans ce même environnement avoir appris à être attentif à l’autre et à son altérité.

Nous nous souvenons de Melle Roustin avec amour pare qu’elle rythmait les récréations pluvieuses en chantant des chansons quand nous devions rester à l’intérieur. C’est elle qui gardait les tourterelles de l’école le week-end. C’est elle qui souvent animait les grandes causeries où l’on intervenait, la plupart du temps avec notre premier exposé.

Nous avons le souvenir d’une femme pleine de rigueur et d’exigence, parfois sévère, veillant à la discipline, toujours dans un désir d’équité. Mais aussi d’une femme attentionnée, attentive et aimante, nous poussant toujours vers l’avant dans notre découverte du monde.

Elle écrit dans mon dernier bulletin scolaire de CM2, en 1988 :

« Pauline est une fillette pleine de richesse, de valeur, intelligente et cultivée, fine. Elle a en mains beaucoup d’atouts de réussite. Malheureusement elle ne se sent pas sécurisée dans la vie, elle est prête à toutes les concessions pour être acceptée, alors que c’est elle qui a des qualités assez extraordinaires.

Il y a chez Pauline une faille quelque part qui fait qu’elle n’ose pas s’affirmer ; trop gentille, ayant toujours peur de faire de la peine ; mais il y a toujours la peur d’être seule et rejetée.

Pauline a le comportement des enfants uniques. Pauline m’intéresse d’autant plus qu’elle ressemble à une petite fille que j’ai très bien connue. C’est pour cela qu’il faut l’aider à aller au delà d’elle-même, savoir qu’elle a toutes les qualités pour réussir , toutes les bontés pour être aimée, qu’il faut qu’elle se prenne en main pour s’asseoir le mieux possible dans une vie réelle et non pas dans une vie qu’elle suppose.

C’est le type de petite fille que l’on aimerait avoir pour soi.

Pauline dans son éducation, dans son comportement, est tout à fait l’expression de ce que devrait être actuellement tout enfant qui a les richesses pour réussir. Mais il semble que par rapport à cette société superficielle et dévorante, elle soit mal armée dans le monde actuel.

Il faut espérer que ce sont des enfants comme elle qui feront le monde qui va venir. »

Voilà un bulletin qui vaut tout l’or du monde, tant on pet y sentir toute l’immense attention qu’elle portait à l’enfant, à chacun de nous.

Si je retrouve et lis ces mots avec émotion, c’est parce que plus tard, elle me fit comprendre que cette enfant qu’elle a très bien connue, c’était elle.

Mademoiselle Roustin nous vous remercions de nous avoir donnés les outils indispensables pour sentir ou comprendre notre rapport au monde. Merci de nous avoir armés afin que nous puissions être autonomes et capables de vivre avec les autres. Merci de nous avoir aimés. Ce sont des cadeaux uniques car sans limite dans le temps.

Mademoiselle Roustin, sachez que nous penserons toujours à vous et que nous serons toujours ces enfants qui construisent, grâce à vous, le monde actuel.

Violaine se souvient

Quel bonheur d'avoir trouvé le site de mon ancienne école ! et quelle émotion aussi, dois-je avouer...
Mon frère Luc, Ma soeur Ann'Kristine et moi-même avons été élèves, je dirait plutôt "enfants" à l'Ecole Nouvelle, rue Marie Jeanne Bassot chez Mademoiselle Roustin...
Ce sont des souvenirs très forts et indélébiles que j'ai de cette période et je considère avoir eu une chance inouie car on a tellement bien respecté mon développement et ma liberté que j'ai tout le long de ma vie eu l'impression de faire exactement tout ce que je voulais... Nous avons adoré notre école, appris l'anglais phonétiquement tous petits, manipulé des milliers de petits cubes en bois qu'on plaçait dans des boîtes de petits suisses en carton peint pour comprendre" le sens des opérations" (grâce à quoi, les maths ont été pour moi un jeu jusqu'en 2nde...), chanté, dansé, joué si bien que je n'ai jamais eu l'impression de "travailler" !
Résultat, à 55 ans, je continue à jouer, à m'amuser, je suis comédienne, auteur de chansons, et je fais des patchworks pour jouer avec les couleurs !
J'ai parcouru votre site avec déléctation, j'ai lu chaque poème, le conte, le cours de musique etc.. et je suis très émue de voir que l'Ecole nouvelle est toujours aussi créative et attentive à l'éveil des personnalités que quand j'y étais, du temps de Mademoiselle Roustin.
Je pense à elle avec beaucoup d'amitié et lui suis extrêmement reconnaissante.
Puisse-t-elle avoir une retraite douce et sans souffrance.
Mademoiselle Lagny (plus tard Soeur Béatrice,diaconnesse) était ma maitresse et celle de ma soeur était Mlle Duprat Je dis ça, juste pour le plaisir de prononcer leur nom...
Voilà, je souhaite beaucoup de joie à tous les élèves de l'école émilie brandt ainsi qu'à toute l'équipe des "enseignants"
Bien amicalement à vous
PS Y aurait-il une Assoc' d'anciens élèves ?
re-PS si des fôthe d'or tographe s'étaient gliçés dans se tecste il fodrèt incriminer
LA MÉTODE GLOBALLE !!!

Et encore bravo

Re-bonjour et encore bravo et merci pour la réunion de ce matin.

Melle ROUSTIN était bien loin, au fond de mes souvenirs, mais cette
grave et joyeuse assemblée a fait remonter plein de choses à la
surface.

J'étais certainement, pas de beaucoup d'ailleurs, le plus ancien élève
présent ce matin, et j'ai été content de retrouver, après plus de
cinquante ans, quelques connaissances. J'ai connu les 2 écoles de
Neuilly. La première, rue Perronnet, où j'ai dû passer un an, puis
boulevard Victor Hugo, et enfin la rue MJ Bassot à Levallois.

Comme je vous l'ai dit, je croyais avoir la photo de la classe de 8° (
on parlait encore comme ça en 1953 ), mais comme j'ai déménagé
récemment, elle quelque part dans un carton, pas perdue...mais puisque
vous l'avez, je peux vous indiquer 5 ou 6 noms.

Pourriez vous donc me la transmettre par courriel; c'est la plus
ancienne photo, celle qui est tout-à-fait à gauche en haut du panneau.

Nous sommes dans le jardin, je suis assis par terre, à côté d'Eric
Bédon et je crois que les autres sont chacun derrière une table.

Dès réception, je vous communique les noms. Je les connais presque tous.

A bientôt.

Claude HAGUENAUER

Nadine Fleischmann

En 1979, cheveux longs, jeune, j’avais alors 19 ans. Je recherchai un poste d’institutrice. Ma candidature fut retenue et je me retrouvais face à une dame fort impressionnante, qui me posa des questions qui me parurent surréalistes.

Où mettais-je les pieds ??

J’aimais – et aime toujours –les défis ; j’acceptais donc ce poste.

Mademoiselle ROUSTIN était une femme fort brillante intellectuellement et culturellement, et peu osaient lui tenir tête.

Elle avait une passion pour al recherche, les pratiques innovantes et souhaitait transmettre ses savoirs.

Mademoiselle ROUSTIN avait fait ses études à l’école de Jardinières d’Enfants d’Emilie Brandt, avec laquelle elle devient une très grande amie.

Lily – comme nous l’appelions lorsqu’elle n’était pas là (elle ne supportait pas son prénom !)- était aussi Montessorienne. Son goût du savoir l’avait, tout en dirigeant l’école et en faisant classe, amenée à poursuivre ses études. Elle possédait un DEA des sciences de l’éducation.

Mademoiselle ROUSTIN passait beaucoup de temps à former son personnel. Nous avions parfois l’impression de réentendre toujours la même chose (chaussons, tabliers,…) Cela avait du sens.

Ce qu’elle faisait avec les enfants, elle nous le faisait vivre. Elle nous poussait à nous surmonter et à poursuivre nos études. C’était une visionnaire. L’école était sa vie.

Lorsque je l’ai connue, elle n’était déjà plus en pleine santé. Elle a subi 54 opérations, dont 2 à cœur ouvert. Elle n’a jamais renoncé, et même en convalescence, elle faisait déplacer son équipe pour continuer à travailler.

Elle avait su s’entourer de parents dévoués, qui croyaient en elle et à ses pratiques pédagogiques.

Nos vacances et jours de repos étaient souvent consacrés à la fabrication de matériel ; cela n’arrêtait jamais.

En 1984, elle a légué son école à un Conseil de gestion – constitué d’anciens parents qui n’ont cessé de soutenir l’école.

Mademoiselle ROUSTIN accueillait tous les enfants. Chacun avait sa chance et elle partait du postulat qu’ils arriveraient là où ils devaient aller et qu’il fallait accepter l’enfant comme il était et non comme nous voulions qu’il soit.

Je n’avais pas 30 ans lorsque Mademoiselle ROUSTIN m’a demandé de la seconder. Cela ne fut pas une partie de plaisir tous les jours. Elle préparait sa succession. Dans un premier temps elle me confia le CM2. J’ai passé un an assise sur un tabouret à l’observer travailler. Belle leçon d’humilité, constructive aussi.

En 1992, notre école rue Mathilde Girault dut fermer. L’usure avait eu raison des locaux. Il m’apparut obligatoire que Lily fasse sa dernière année dans la nouvelle école. C’était à notre sens une consécration.

De 12 élèves au début de l’école à Neuilly, elle terminait avec 8 classes et 200 élèves.

Mademoiselle ROUSTIN reçu les palmes académiques. Elle a formé des centaines d’élèves et bon nombre d’enseignantes.Elle fonda avec tout un groupe de pédagogues aussi motivées qu’elle, l’ANEN.

Au fil du temps, Lily était devenue plus que ma directrice. Elle me considérait comme sa fille et j’avais un rand respect pour elle.

Mademoiselle ROUSTIN est rapidement tombée malade après sa retraite. Dès 1995, elle entra à l’hôpital de Fontainebleau d’où elle ne ressortit plus.Lorsque j’allais la voir, elle me parlait des anciens parents, des anciens élèves et avait une grande lucidité sur la vie actuelle. Toujours en questionnement. En 1999, elle passait les 3 /4 de son temps allongée et n’avait plus sa tête.

Je tiens à la remercier de nous avoir fait confiance, de nous avoir permis de poursuivre ses pratiques pédagogiques. Les temps changent, la vie évolue.

L’école n’est plus celle que j’ai connue en 1979. Mais les enfants y sont toujours respectés. Nous poursuivons nos tâtonnements et les quelques collègues qui l’ont connue font en sorte que nous gardions l’âme de l’école.

Merci.

L'hommage de Michel Brilouet

Discours prononcé par Monsieur Michel BRILOUET ex-secrétaire des Parents d’Elèves

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Elèves,

Aujourd’hui 5 novembre 2005, nous rendons avec émotion hommage à Melle Marie-Emilie ROUSTIN, ex-directrice de l’Ecole Emilie Brandt qui nous a quittés le 12 août de cette année.

Comme toutes vies exceptionnelles qui font la fierté et la richesse d’une Nation et débordent même les frontières, celle d’Emilie Roustin s’est déployée autour d’une seule passion : l’ECOLE.

En effet, nous attestons qu’elle y a consacré toute une vie et en avait fait sa raison d’être. Les anciens, parents et élèves, qui l’ont connue se souviendront, qu’arrivée à l’âge de la retraite, elle ne l’avait pas vécue comme une page qui se tourne, mais plutôt comme une contrainte imposée. La maladie est venue par la suite l’accompagner comme une mauvaise amie jusqu’à sa mort.

Durant toute sa vie professionnelle d’institutrice et de directrice d’école, elle a combattu les préjugés et conventions qui fossilisent encore la société pensante française : je veux parler, en particulier de l’Education de notre Jeunesse. C’était son véritable terrain de prédilection, sa vocation première, son laboratoire journalier, dérangeant les tenants de l’ordre à une époque où il n’était pas toléré de dire NON. C’est donc avec une audacieuse modernité qu’elle forma et dirigea une pléïade d’institutrices dans la pédagogie montessorienne.

Permettez-moi de citer le sociologue Pierre BOURDIEU, orfèvre en la matière, car Lily Roustin savait conjuguer le Social à tous les temps, je cite : « les femmes dans l’éducatif restent encore les objets d’échange dans l’économie des biens symboliques ; c’est-à-dire condamnées aux tâches domestiques, aux pratiques religieuses, aux inégalités des chances ». Emilie Rosutin considérait aussi l’école comme la voie royale de la liberté ouvrant les portes à la culture, à la tolérance, au partage du meilleur de ce que les hommes ont en commun. Elle donnait, par exemple, la préférence à un beau vers de Racine, à la sécheresse des résultats boursiers. Sa formation pédagogique l’a fait adhérer de suite à la méthode montessorienne. Emilie Brandt lui demande de prendre la Direction de son école à Neuilly, en 1952, avec 12 élèves seulement. Levallois-Perret par la suite, (on est en 1954) c’est son grand combat avec peu de moyens financiers et sans soutien de l’Education Nationale. Contre vents et marées, elle créa et dirigea d’une main de fer (les Anciens pourront l’attester) l’Ecole Nouvelle de la rue Mathilde Girault.

Une simple anecdote illustrera un des traits de son caractère. Nous nous y prêtions de bonne grâce, cela consistait à nous réunir dans une salle de classe et à nous faire effectuer individuellement les divisions et multiplications de son cru, c’est-à-dire avec quantités de virgules et de zéro, sans calculette. Evidemment, les résultats étaient décevants. Alors mademoiselle la Directrice, triomphante et montant sur ses grands chevaux, nous lançait : » vraiment vous n’êtes pas capables d’aider vos enfants, laissez ce travail aux institutrices ». C’était sans appel, mais jamais je n’ai connu de vexation chez les parents, juste un peu de rides à l’amour propre !

Un jour de confidence, elle m’a dit : « on enseigne encore la grammaire de Louis XIV », ou bien « Marguerite Duras, prix Goncourt, aurait mieux fait d’écrire des poèmes ! » ou encore « Béatrix Beck, prix Goncourt, l’auteur de L éon Morin prêtre porté à l’écran et interprété par Jean-Paul Belmondo ne sait pas écrire ». Et bien d’autres …

Curieuse femme maniant aussi l’humour, mais qui cachait une profonde gravité, surtout lorsqu’il s’agissait de question humanitaire ! Ayant beaucoup voyagé de par le monde, elle pouvait juger mieux que quiconque des délabrements physique et moral des enfants privés de tout et d’école. Toute sa vie elle a aimé les enfants des autres ! Elle reçut les palmes académiques, juste récompense pour cette femme d’exception.

Les anciens se souviendront. Pour les jeunes de cette école d’aujourd’hui : arrêtez-vous, faites silence dans la lumière automnale, regardez les feuilles qui tourbillonnent, écoutez dans la paix un grand cœur qui bat encore pour vous !

Un poème de Michel Brilouet ...

... en hommage à Mademoiselle ROUSTIN

Aujourd’hui , c’est inouï :
Ma fenêtre s’est ouverte sans raison
Le soleil jouait sur la margelle
En comptant ses pigeons
Un, deux, trois : Attention au chat
Caché derrière les vitres
De mon lit, je suis jeté dans la cour.
Explosion de gaz ? non tout est calme.
Dans l’air flotte un parfum de fleurs.
J’ascensionne très vite le long
Des façades grises des maisons.
Les fenêtres me regardent passer
Plus léger qu’un ballon.
Je monte vers l’azur transparent
Qui a mis sa somptueuse nappe bleue
Comme pour un repas des Dieux.
Je survole ahuri. maintenant l’école d’Emilie
Dont la cour est une énorme rose.
Les enfants me voient et crient :
Madame, Madame, là au-dessus des cheminées …
Je vois à chaque doigt tendu : une fleur
Sur chaque bouche ronde : un cœur.
De la rue plongeante en parure de fête
Les gens pourtant ne semblent pas étonnés.
Mais ils s’arrêtent pour s’embrasser et s’offrent des fleurs :
J’aperçois la concierge du 120 avec le facteur
Le percepteur avec l’ami de sa femme
Les passagers du bus avec le conducteur
Bref, se déroule dans la rue un ruban de gaîté
Et moi, plus mort que vif, de cette lévitation
Redescendu sur le trottoir. Reprenant mes esprits.
Mon chat à mes côtés s’étant mis à parler :
« ça va la tête »
un vieux monsieur d’un air outragé
deux boutons d’or sur le nez. Piqués.
Me dit, enfin, très digne :
Mais jeune homme, ne savez-vous pas que c’est :
Aujourd’hui le printemps.

« Etoiles en Branches » 1986

Une amie d'enfance

Mademoiselle ROUSTIN appartenait à l’une des plus anciennes familles du canton de CROCQ (la famille MOREAU remontant au 17èmùe siècle) situé dans le département de la Creuse, à 800 mètres d’altitude.

CROCQ est une localité pittoresque, construite à flanc de coteau sur une colline escarpée couronnée de deux grosses tours moyennageuses remarquablement restaurées. Vers elles convergent, dispersées dans la verdure, des rues étroites en pente raide, bordées de maisons de granit aux toits de tuile rose (certaines de ces habitations datent du début de la renaissance).

L’une d’elles abrite un petit musée local intéressant, qui attire beaucoup de touristes, comme la chapelle romane édifiée à proximité.

Tout autour la campagne est belle.

Pendant les vacances scolaires, à l’époque de son adolescence, Mademoiselle ROUSTIN aimait se promener, en compagnie des amis de son âge, dans les chemins creux ombragés de chênes et de hêtres, ou flâner sur les petites routes qui serpentaient à travers de grands prés traversés par des ruisseaux d’eau vive où abondaient alors les écrevisses.

Elle avait d’excellents contacts avec les habitants de CROCQ, dont certains parlaient encore entre eux le patois d’antan, surtout au moment des foires à bestiaux très importantes à l’époque.

C’est à MONTLUCON qu’elle a fait ses études secondaires, pour partir ensuite à PARIS et devenir une spécialiste des méthodes d’enseignement de l’Ecole Nouvelle.

Sa passion pour ce genre d’activité l’a incitée à créer un établissement à Levallois-Perret, où se révélèrent très rapidement ses dons pédagogiques exceptionnels et son remarquable sens de la communication avec les enfants dont elle avait la charge.

Son courage, sa ténacité lui ont permis, avec l’appui de collaborateurs efficaces et l’aide des parents, d’assurer le développement de son école à qui elle a consacré la plus grande partie de sa vie.

Beaucoup de ses anciens élèves ont conservé un heureux souvenir de leur passage dans son établissement, leur personnalité pouvant s’y épanouir grâce aux méthodes modernes d’enseignement qu’elle appliquait avec beaucoup d’intelligence et qui, tout en maintenant une incontestable discipline, respectait l’indépendance de chacun.

C’est pourquoi ils ont été réconfortés en constatant qu’une nouvelle équipe dirigeante poursuivait son œuvre et assurait le succès de son école dont la renommée ne cesse de croître.

Ses amis, eux aussi, se félicitent de cette situation, puisqu’elle permet de garder vivante la mémoire de Mademoiselle ROUSTIN. Tous se souviennent avec émotion de sa vivacité d’esprit, de ses conversations pleines d’humour et de gaîté révélant une vaste culture personnelle, enrichie des connaissances acquises au cours de ses nombreux voyages en France et à l’étranger.

Ainsi, c’est avec la certitude que son existence - faite de total dévouement à son école et aux enfants dont elle assurait l’éducation – sera donnée en exemple aux générations futures, qu’ils l’accompagneront jusqu’au cimetière situé au pied des tours de CROCQ d’où la vue s’étend jusqu’aux lointaines montagnes d’Auvergne.

Face à ce paysage à la fois paisible et grandiose, sa dépouille mortelle reposera dans le caveau familial aux côtés des siens, conformément à ses dernières volontés.

Renée MERLIER , amie d’enfance

Hommage d'Auvergne

« Toute la famille sera de tout cœur avec vous lors de l’hommage qui sera rendu à Mademoiselle Roustin. Habitant l’Auvergne, nous avons parfois l’occasion de passer par Crocq et aurons l’occasion de nous rendre au cimetière pour un petit coucou à Mademoiselle Roustin.

Je souhaite faire part de mes souvenirs de l’école.

En classe de DS , on a su à l’école me redonner confiance et mademoiselle Roustin qui m’a ensuite accepté dans sa classe a poursuivi ce travail.

Lors des séances du samedi, Mademoiselle Roustin m’a donné le goût des voyages, en parlant des pays où elle était allée, le Mexique,…., le goût de la recherche, de la nature,…

Cela a été déterminant pour mon avenir. Ce goût des voyages et de la nature m’ont amené à la photographie, la prise de vue de paysages . Il a monté une entreprise de cartes postales, de posters…. Surtout sur l’Auvergne et le Massif central, région où il habite maintenant.

Louis, son fils, après de longues études, a rejoint l’entreprise familiale.

Marie, quant à elle, termine l’IUFM et devrait enseigner l’an prochain.

Retranscription d’une conversation téléphonique.

Francis DEBAISIEUX (élève 1962-1964), ses enfants Maris (1981-1988) et Louis (1983-1988)

Enseignante en 1970

« mademoiselle ROUSTIN m’a accueillie alors que c’ était un premier poste. J’y ai passé mon CAP . Elle m’a toujours soutenue quand j’avais des difficultés ; elle m’a appris mon métier. Elle m’a imprégnée de l’esprit de son école . je n’ai passé que six années à l’école (autour de 1970) mais j’ai encore des travaux d’enfants. Je me souviens des thèmes et des expositions, des classes de nature… je me souviens de la cantine ans les classes, je me souviens des récréations qui ne coupaient pas les demie-journées …. Je me souviens des chaussons : que de belles idées mises en pratique ! Oui c’était possible de faire la classe autrement.

Avec mon meilleur souvenir et encouragements pour continuer à faire vivre l’héritage que Mademoiselle Roustin nous laisse »

extrait de la lettre de Solange FAIN, enseignante dans les années 1970

Poème d’Anne WEYN-QUILES

La vie

La vie est un long voyage
On navigue sur les flots
A fleur d’eau
Après de multiples naufrages
On boit la tasse de temps en temps
Puis on reste ancré dans le port
Pour un certain temps
C’est le moment fort
La vie prend du gîte
C’est comme un voilier
Qui part très vite
Et voit les gens diminués
Devenir de plus en plus petits
Il chavire, bascule dans l’infini
D’une vague, on se laisse être
On ressent un bien être
On vit en apesanteur
On flotte avec langueur
Puis on coule doucement

Vers l’au-delà irrémédiablement.

Travailler pour le plaisir d’apprendre

Nous tenons à témoigner d’un souvenir très présent et attachant de Mademoiselle ROUSTIN . Son regard vif, lumineux, très attentif auprès de chacun. Sa pédagogie avant-gardiste a permis à nos enfants de travailler pour le plaisir d’apprendre et non pour … une note !!! »


Nadine et Jean-Paul BLANCHET ,

parents de Johanna (1989-1996) Hugo (1991-1999) et Lise (1995-1999)

samedi, novembre 05, 2005

Continuons !

Ce samedi 5 novembre 2005 aura été le théatre d'un hommage magnifique à l'exceptionnelle personnalité que fût Lily Roustin.

Aussi, nous nous devons de continuer d'honorer la mémoire de cette grande amie des enfants en récoltant les anecdotes, histoires, photos et souvenirs. Ce journal en sera le lieu et chacun de vous pourra y apporter sa contribution, aussi modeste soit elle.

Alors, à vos plumes et proposez-nous votre prose !