jeudi, novembre 10, 2005

L'hommage de Michel Brilouet

Discours prononcé par Monsieur Michel BRILOUET ex-secrétaire des Parents d’Elèves

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Elèves,

Aujourd’hui 5 novembre 2005, nous rendons avec émotion hommage à Melle Marie-Emilie ROUSTIN, ex-directrice de l’Ecole Emilie Brandt qui nous a quittés le 12 août de cette année.

Comme toutes vies exceptionnelles qui font la fierté et la richesse d’une Nation et débordent même les frontières, celle d’Emilie Roustin s’est déployée autour d’une seule passion : l’ECOLE.

En effet, nous attestons qu’elle y a consacré toute une vie et en avait fait sa raison d’être. Les anciens, parents et élèves, qui l’ont connue se souviendront, qu’arrivée à l’âge de la retraite, elle ne l’avait pas vécue comme une page qui se tourne, mais plutôt comme une contrainte imposée. La maladie est venue par la suite l’accompagner comme une mauvaise amie jusqu’à sa mort.

Durant toute sa vie professionnelle d’institutrice et de directrice d’école, elle a combattu les préjugés et conventions qui fossilisent encore la société pensante française : je veux parler, en particulier de l’Education de notre Jeunesse. C’était son véritable terrain de prédilection, sa vocation première, son laboratoire journalier, dérangeant les tenants de l’ordre à une époque où il n’était pas toléré de dire NON. C’est donc avec une audacieuse modernité qu’elle forma et dirigea une pléïade d’institutrices dans la pédagogie montessorienne.

Permettez-moi de citer le sociologue Pierre BOURDIEU, orfèvre en la matière, car Lily Roustin savait conjuguer le Social à tous les temps, je cite : « les femmes dans l’éducatif restent encore les objets d’échange dans l’économie des biens symboliques ; c’est-à-dire condamnées aux tâches domestiques, aux pratiques religieuses, aux inégalités des chances ». Emilie Rosutin considérait aussi l’école comme la voie royale de la liberté ouvrant les portes à la culture, à la tolérance, au partage du meilleur de ce que les hommes ont en commun. Elle donnait, par exemple, la préférence à un beau vers de Racine, à la sécheresse des résultats boursiers. Sa formation pédagogique l’a fait adhérer de suite à la méthode montessorienne. Emilie Brandt lui demande de prendre la Direction de son école à Neuilly, en 1952, avec 12 élèves seulement. Levallois-Perret par la suite, (on est en 1954) c’est son grand combat avec peu de moyens financiers et sans soutien de l’Education Nationale. Contre vents et marées, elle créa et dirigea d’une main de fer (les Anciens pourront l’attester) l’Ecole Nouvelle de la rue Mathilde Girault.

Une simple anecdote illustrera un des traits de son caractère. Nous nous y prêtions de bonne grâce, cela consistait à nous réunir dans une salle de classe et à nous faire effectuer individuellement les divisions et multiplications de son cru, c’est-à-dire avec quantités de virgules et de zéro, sans calculette. Evidemment, les résultats étaient décevants. Alors mademoiselle la Directrice, triomphante et montant sur ses grands chevaux, nous lançait : » vraiment vous n’êtes pas capables d’aider vos enfants, laissez ce travail aux institutrices ». C’était sans appel, mais jamais je n’ai connu de vexation chez les parents, juste un peu de rides à l’amour propre !

Un jour de confidence, elle m’a dit : « on enseigne encore la grammaire de Louis XIV », ou bien « Marguerite Duras, prix Goncourt, aurait mieux fait d’écrire des poèmes ! » ou encore « Béatrix Beck, prix Goncourt, l’auteur de L éon Morin prêtre porté à l’écran et interprété par Jean-Paul Belmondo ne sait pas écrire ». Et bien d’autres …

Curieuse femme maniant aussi l’humour, mais qui cachait une profonde gravité, surtout lorsqu’il s’agissait de question humanitaire ! Ayant beaucoup voyagé de par le monde, elle pouvait juger mieux que quiconque des délabrements physique et moral des enfants privés de tout et d’école. Toute sa vie elle a aimé les enfants des autres ! Elle reçut les palmes académiques, juste récompense pour cette femme d’exception.

Les anciens se souviendront. Pour les jeunes de cette école d’aujourd’hui : arrêtez-vous, faites silence dans la lumière automnale, regardez les feuilles qui tourbillonnent, écoutez dans la paix un grand cœur qui bat encore pour vous !